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Environnement et pétrole : Le pari de Justin Trudeau

Photo du rédacteur: L'Article Dix-Neuf L'Article Dix-Neuf

Par William Demers


Le 7 octobre dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait un rapport accablant concernant les changements climatiques, en affirmant que des transformations « sans précédent » sont requises. En 2015, Justin Trudeau renouait avec la communauté internationale sous la bannière de mettre les efforts nécessaires pour l’environnement.



Nous nous rappelons tous des premiers mots de Justin Trudeau lors de son retour à l’ONU : « Canada’s back ! » Suite à des années plus sombres sous le règne des conservateurs, les libéraux avaient une rare opportunité de renouer avec communauté internationale. Quoi de mieux pour prouver cette allégeance que de signer l’Accord de Paris sur le climat. Une entente historique rassemblant plus de 196 pays, notamment sur le fait de poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 degré Celsius. Après un engagement comme celui-ci et de nombreuses promesses électorales sur l’environnement, nous sommes en droit de nous demander si Justin Trudeau a toujours maintenu le cap sur ces engagements.


Malgré ce que M. Trudeau tente de faire passer comme message, le Canada a gravement manqué à sa mission environnementale. De nombreuses décisions douteuses et impopulaires sont à l’origine de ce constat. Malgré ce qui avait été annoncé à la suite de la campagne électorale de 2015, les libéraux ont vraisemblablement manqué d’éthique et de rigueur pour passer de la parole aux actes.


Des pipelines verts

Les experts ont rapidement dégrisé après les élections voyant que le discours postélectoral ne ressemblait aucunement à ce qui avait été annoncé. Le présent mandat de Justin Trudeau est parsemé de décisions allant complètement à l’encontre des valeurs environnementales que l’on attendait en tant que population. Bien qu’élu au nom du changement, on pourrait croire que c’est toujours Stephen Harper qui est au pouvoir. Cette lune de miel s’est terminée environ 1 an après la nouvelle union entre les libéraux et les Canadiens.

Le premier ministre sortant n’a pas attendu longtemps avant de se prononcer sur un enjeu délicat.


En novembre 2016, Justin Trudeau approuve deux importants projets d’oléoducs qui, selon lui, sont dans l’intérêt du pays : Trans Moutain et Ligne 3 d’Enbridge. Cette décision, aussi controversée que les autres, va permettre aux industries des sables bitumineux de croître leur production de plus de 40% d’ici 2025. Il s’agit de 3,4 millions de barils par jour. Or, contrairement à ce que pense le premier ministre, les sables bitumineux se trouvaient déjà à être la plus grande lacune du pays en termes de GES. Selon un rapport déposé en 2015 par Environnemental Defense et Greenpeace, l’Alberta est responsable de 73% de la hausse des GES depuis 25 ans au pays. Ce nombre a même doublé depuis 2000, contrairement aux autres secteurs énergétiques.

« Cette annonce fait partie de notre plan pour réduire les GES » - Justin Trudeau.


Selon ce même rapport, cette simple décision rend la tâche impossible pour le gouvernement de respecter ses engagements en manière de climat. Dale Marshall, responsable du programme Environnemental Defence, explique que les analyses réalisées démontrent clairement une incompatibilité majeure entre l’exploitation des sables bitumineux ainsi que la lutte aux changements climatiques.


Le pipeline Trans Mountain va d’ailleurs faire couler beaucoup d’encre dans les mois suivant l’annonce. À la suite de nombreuses poursuites, la société propriétaire du pipeline, Kinder Morgan, va mettre en place un ultimatum sur l’avenir du projet. Dans un élan de générosité, le gouvernement fédéral va annoncer l’achat du projet Tans Mountain au coût de 4,5 milliards de dollars de fonds publics. Le gouvernement veut ainsi assurer l’expansion du pipeline « coûte que coûte », au nom de la création d’emplois. Encore une fois, pour Justin Trudeau et Bill Morneau, il s’agit d’un projet dans l’intérêt des Canadiens. Alors que Trans Mountain traverse deux provinces, cet achat vient irriter la Colombie-Britannique qui s’opposait fermement contre ce projet le jugeant dangereux pour l’environnement.

À titre indicatif, à la hauteur que le Québec contribue aux taxes canadiennes, c’est comme si la province avait financé jusqu’à 23% ce projet d’oléoduc.



Il est important de mentionner que les cibles de réduction des GES n’ont pas été changées depuis l’ère Harper. Alors que les conservateurs avaient été fortement critiqués par l’opposition libérale de l’époque, il semble que ces derniers n’aient apporté aucun changement. Jugé de ridicules et d’irréalistes, les cibles de 30% de réduction des GES par rapport à 2005 ont été mises en place par un gouvernement climatosceptique. Or, on aurait pu croire qu’un Justin Trudeau pro-environnement aurait corrigé le tir, mais non. Il s’agit donc d’une autre déception qui s’ajoute à une liste de plus en plus longue.


Protections des marées… noires

L’une des promesses de Justin Trudeau visait à croître la protection des lacs et des rivières du Canada, dans un objectif de conservation. Il a réitéré cette conviction à de nombreuses reprises lorsqu’il défendait le projet de Trans Mountain en affirmant que plus de pétrole par pipeline voulait dire moins de pétrole par bateau. Mais comble de l’ironie, en avril dernier, il autorise la pétrolière BP à forer en eaux profondes au large de la Nouvelle-Écosse.


La compagnie veut forer plus de sept puits d’exploration afin de valider la présence de gisement de pétrole. On parle d’une profondeur de 3000 mètres, soit le double du puits de la même compagnie qui a causé une marée noire monstre dans le golfe du Mexique en 2010. Selon la ministre Catherine McKenna, ce projet « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ». On peut alors penser que la ministre vit dans un univers parallèle où les catastrophes de ce genre n’existent tout simplement pas. Dans le but de se faire rassurante, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) a affirmé que dans l’éventualité d’une fuite, le puits serait obturé et confiné en 13 à 25 jours…


De par cette nouvelle incohérence libérale, la zone autorisée par Ottawa fait partie de l’habitat naturel de plusieurs mammifères protégés par la Loi sur les espèces en péril. Les travaux engendrés par la pétrolière vont créer beaucoup de pollution sonore perturbant ainsi ces animaux marins. Alors que le gouvernement venait de mettre en place des règles plus strictes pour le transport maritime, une compagnie de pétrole vient une fois de plus faire plier un gouvernement qui ne semble pas être capable d’avoir un certain tonus face à ces géants de l’industrie.

Cette déception nationale s’est fait ressentir l’autre côté de la frontière alors que plusieurs écologistes, militants américains et internationaux comptaient sur ce nouveau gouvernement pour poser des gestes concrets pour l’environnement et le futur.


Dans une entrevue réalisée par Radio-Canada, le célèbre environnementaliste Bill McKibben s’est dit profondément déçu des récentes actions du jeune Premier ministre : « Trudeau a défendu avec une éloquence exceptionnelle la lutte contre les changements climatiques. Il a aidé la planète à écrire noir sur blanc dans un texte la cible dont nous avons besoin. Malgré tout ça, il n'a pas eu le courage politique de faire ce qu'il devait faire. » Lorsqu’on lui a demandé s’il s’agissait d’une forme d’hypocrisie, Bill McKibben a affirmé que, sur cette question, « l’hypocrisie est claire ».


Ministre de la déception

Tout comme à l’image de son premier ministre, la ministre de l’Environnement, Catherine Mckenna, est tout aussi décevante. Inactive, impopulaire et souvent en manque de jugement, elle représente bien les trois dernières années de son ministère.

Son manque de jugement a connu son apogée lorsqu’elle s’est présentée à un évènement de la compagnie Enbridge, portant fièrement un tablier avec le nom de la compagnie pétrolière bien en vue. Pour plusieurs groupes environnementaux, cela ne vient prouver une fois de plus qu’il existe un lien étroit entre le présent gouvernement et les industries pétrolières de l’Ouest Canadien.


C’est sur ce fond d’hypocrisie que le mondialement connu David Suzuki invite la présente ministre de l’Environnement à démissionner. Il lui reproche son manque de sérieux et ses séries de décisions douteuses allant dans le sens de l’industrie pétrolière. Pour le fondateur de Greenpeace, Catherine Mckenna ressemble beaucoup plus à une ministre de l’Économie. Il a d’ailleurs salué la démission de Nicolas Huot, ministre de la Transition écologique français, alors qu’il jugeait le gouvernement Macron n’était pas assez sérieux face aux changements climatiques.


Par-rapport au rapport dévoilé par le GIEC, la ministre a affirmé que le Canada faisait tout en son possible pour atteindre ses objectifs. Elle a profité du moment pour s’en prendre aux conservateurs en disant que le climat n’est pas une question partisane. Des propos très ironiques considérant l’inaction même de son ministère et de sa personne sur ce dossier. Elle dit vouloir se concentrer sur la Conférence sur le climat (COP 24) pour continuer le travail.

Considérant l’échec de Kyoto, le Canada semble déterminé à représenter l’échec potentiel de l’Accord de Paris.



Les groupes environnementaux voyaient l’arrivée des libéraux de bon augure il y a trois ans, et avec raison. Le charisme et l’optimisme d’un jeune premier ministre sur la question du climat avaient quelque chose de rassurant après des années plus sombres. Quelqu’un qui ne suit pas nécessairement l’actualité politique pourrait croire que ce sont toujours les conservateurs qui gouvernement le pays. Très loin de leurs intentions de départ, les libéraux ont enchaîné les mauvaises décisions sur le dossier de l’environnement en présentant et en poursuivant un bilan aussi inquiétant que celui sous Harper. Il reste présentement moins d’un an avant les élections fédérales. Après trois ans à avoir les mains tachées de pétrole, il sera intéressant de suivre comment Justin Trudeau va défendre son bilan vert. Peut-être va-t-il utiliser son produit préféré pour se laver, le déni.

Bibliographie

- Gouvernement du Canada « Progrès vers la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada ». Consulté le 14 octobre 2018. https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/progres-cible-reduction-emissions-gaz-effet-serre-Canada.html.

- La Presse Canadienne : « David Suzuki réclame de nouveau la démission de Catherine McKenna ». ICI.Radio-Canada.ca, Zone Politique, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1125399/ministre-environnement-ottawa-ecologie-depart-fondation.

- Leblanc, Étienne « Changements climatiques et l’hypocrisie de Justin Trudeau est claire; » ICI.Radio-Canada.ca, Zone Environnement, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1066234/bill-mckibben-changements-climatiques-hypocrisie-justin-trudeau-claire-cop23.

- QMI, Agence. « Le rapport du GIEC « salué » par la ministre McKenna, qui critique les conservateurs ». Le Journal de Montréal, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://www.journaldemontreal.com/2018/10/08/le-rapport-du-giec-salue-par-la-ministre-mckenna-qui-critique-les-conservateurs.

- Shields, Alexandre : « Taxe sur le carbone: Ottawa se plie «aux pressions de l’industrie », Le Devoir, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/533664/ottawa-se-plie-aux-pressions-de-l-industrie.

- Shields, Alexandre : « La pétrolière BP, responsable de la marée noire du golfe du Mexique, souhaite forer sept puits », Le Devoir, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/525232/la-petroliere-bp-responsable-de-la-maree-noire-du-golfe-du-mexique-souhaite-forer-sept-puits.

- Shields, Alexandre : « Ottawa approuve deux importants projets d’oléoducs », Le Devoir, 2017. Consulté le 14 octobre 2018 https://www.ledevoir.com/societe/environnement/485890/ottawa-approuve-le-pipeline-de-kinder-morgan.

- Shields, Alexandre, « Les sables bitumineux condamnent le Canada à l’échec ». Le Devoir, 2018. Consulté le 14 octobre 2018. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/436859/gaz-a-effet-de-serre-les-sables-bitumineux-condamnent-le-canada-a-l-echec.

- « Voici les promesses tenues et brisées par le gouvernement Trudeau», VICE Québec, 2017. Consulté le 14 octobre 2018. https://www.vice.com/fr_ca/article/mb3j3n/voici-les-promesses-tenues-et-brisees-par-le-gouvernement-trudeau.

 
 
 

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